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Polémique d’une première ascension : Annapurna, 1950

Comme de nombreuses autres ascensions, l’expédition française à l’Annapurna en 1950 -avec le premier sommet de plus de 8 000 mètres à la clé- n’a pas été exempte de polémique. Plus de 40 ans après l’exploit sportif qui a ouvert les portes de l’Himalaya aux expéditions du monde entier, la publication d’un livre a écorché la version officielle et la figure du "héros national", le chef de l’expédition Maurice Herzog.


Maurice Herzog, au sommet de l'Annapurna
Les tentatives de sommet sur les montagnes les plus hautes de la planète n’ont rien de nouveau lorsque la France obtient un permis pour grimper l’Annapurna en 1950. Dans l’entre-deux-guerres déjà, plusieurs expéditions ont été réalisées mais aucune n’a été couronnée de succès bien au contraire. Deux exemples malheureusement célèbres : Mallory et Irvine, disparus lors de leur tentative de sommet à l’Everest en 1924 et Dudley Wolfe, décédé sur le K2 lors d’une expédition dirigée par Fritz Wiessner en 1939.

Les gouvernements de tous les pays veulent voir leur drapeau flotter au plus haut des montagnes les plus hautes du monde. L’enjeu est énorme : la seconde guerre mondiale a affaibli les puissances mondiales qui voient dans l’Himalaya et ses sommets encore vierges le moyen de redorer leur blason et de montrer leur force aux autres nations.

Après plusieurs mois d’exploration sur place, le choix de l’expédition française pour grimper une montagne de plus de 8 000 mètres se porte finalement sur l’Annapurna, ses 8 091 mètres d’altitude étant considérés plus faciles à escalader.


L’Annapurna
Louis Lachenal, Gaston Rébuffat, Lionel Terray, Jean Couzy, Marcel Schatz, le Dr Jacques Oudot et le cinéaste Marcel Ichac font partie de l’expédition menée par Maurice Herzog.

Le 3 juin 1950, Herzog et Lachenal atteignent le sommet. Un véritable exploit dont la descente est cauchemardesque pour les deux hommes : ils souffrent tous les deux de congélations au niveau des pieds et doivent se lancer dans une course contre la montre car l’époque de la mousson approche. Portés à dos d’homme à travers la montagne, la forêt et les rizières népalaises, le médecin de l’expédition essaie de les soigner tant bien que mal. Finalement, ils doivent être amputés de certains doigts… Le retour en France est triomphal : « En ces lendemains de guerre, en ces temps troublés et incertains, la France du plan Marshall se découvre des héros » (Le Monde). La nouvelle du sommet s’étant su le 26 juin, tout le monde attend avec impatience l’arrivée des « héros ». Il faut patienter jusqu’au mois d’août pour avoir plus de détails de l’expédition.


Louis Lachenal
Grâce à l’argent rapporté par l’exploit sportif, plusieurs expéditions françaises sont organisées dans les années qui suivent. Le livre de Maurice Herzog, Annapurna, premier 8 000, le film de Marcel Ichac Victoire sur l’Annapurna, les reportages publiés dans Paris-Match, l’album photos Regards vers l’Annapurna et les innombrables conférences données à travers la France entière remportent en effet un franc succès auprès du public. Comme la Fédération Française de Montagne possède tous les droits de publication de l’expédition (avant le départ, tous les membres de l’expédition ont signé un contrat accédant à céder leurs droits pour une durée de cinq ans), elle peut ainsi financer diverses expéditions de par le monde.

Maurice Herzog étant considéré comme seul héros de la conquête du sommet et récoltant tous les fruits de cet exploit, Louis Lachenal qui a tenu son journal de bord durant l’expédition projette de le publier en commentant certains passages pour donner sa version de l’histoire. Mais il meurt dans un accident de ski en 1955 avant de l’avoir terminé. Ses notes sont alors retravaillées par Gérard Herzog (frère de Maurice) et publiées sous le titre Carnets de Vertige en 1956.


Gaston Rébuffat portant Herzog sur les épaules, dans la descente de l'Annapurna
La polémique de l’expédition n’arrive que beaucoup plus tard avec la réédition de cet ouvrage par les éditions Guérin dans les années 90 mais cette fois avec les notes originales de Lachenal. On apprend alors les différences de point de vue entre les deux membres de la cordée à avoir foulé le premier 8 000 de l’histoire : Herzog, le politisé qui veut le succès de l’expédition à tout prix et Lachenal le professionnel de montagne qui connaît les limites de l’être humain à haute altitude. On découvre un Herzog mettant en danger le reste des membres de l’expédition pour son ambition de sommet, un Terray et un Rébuffat avec leur part de gloire, aidant leurs compagnons dans la descente infernale du sommet. La réédition de Carnets de Vertige permet au grand public de découvrir le journal de bord de Lachenal dans son intégralité et donc sa version des faits (certains passages et commentaires omis lors de la première édition ayant été rajoutés en italique).


Lionel Terray
La version officielle qui attribue tout le succès de l’opération à Herzog a été plus que rentable pour le chef de l’expédition qui a -entre autres- été Secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports de 1958 à 1965 et l’homme de confiance du Général De Gaulle pour promouvoir le sport en France et former de jeunes champions et dont le livre est devenu un best-seller. Et la famille Herzog n’est pas disposée à voir son nom sali de la sorte et veut faire interdire la publication de l’œuvre. La veuve de Gérard Herzog assigne en justice les éditions Guérin pour viol du droit moral de son défunt mari et les enfants de Lachenal pour diffamation. De leur côté, les enfants Lachenal réclament une indemnité financière pour la première édition du livre estimant que les droits d’auteur reviennent à leur défunt père.

Finalement, le Tribunal de Grande Instance de Bonneville a jugé que les éditions Guérin étaient dans leur droit de publier la nouvelle version de Carnets de Vertige mais les a condamné à payer 30 000 € de droits et redevances à Mme Herzog. Maurice Herzog n’a, quant à lui, jamais voulu entrer dans la polémique…

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